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Radio LIBERTAIRE ?
Une expérience sociale et libertaire,
une utopie en marche, des questions et des projets.
Une
expérience libertaire réelle :
Les appuis historiques du mouvement libertaire sont portés par plusieurs
expériences, comme la Commune de Paris, les makhnovistes et la révolution
espagnole, qui ont eu lieu en période de guerres. Par ailleurs, d'autres
expériences comme La Ruche de Sébastien Faure ou la Cécilia n'ont pas duré de
longues années ; d'autres encore n'ont rassemblé qu'un petit nombre de
personnes (Bonaventure).
L'originalité de Radio Libertaire est d'être ancrée dans une réalité politique,
sociale et économique, juridique, administrative et financière, en dehors d'une
période révolutionnaire, au-delà d'une expérience groupusculaire, d'une
situation exceptionnelle ou d'un exil. Radio Libertaire a su perdurer après les
premières années d'affrontements avec l'état ; elle se développe, en complétant
régulièrement la grille de ses programmes.
Le fonctionnement de cette micro-société s'inscrit dans une durée qui commence
à être conséquente : quand a été fêté le centenaire du Monde Libertaire (en
1995), on marquait aussi le quatorzième anniversaire de Radio Libertaire !
Pourquoi ne pas rêver au centenaire de Radio Libertaire ?
Notre fonctionnement est relativement différent des autres structures, quand
aux prises de décisions, aux modes d'attribution et de contrôle des
responsabilités, à la coopération entre tous les participants à la vie de la
station et aux gratifications que chacun, chacune en retire.
Et
pourtant ça marche !
Par exemple, chaque équipe achète les cassettes indispensables à
l'enregistrement de son émission ou les timbres pour répondre aux courriers de
ses auditeurs. Personne ne reçoit un dédommagement pour cette activité,
personne n'en réclame : et pourtant l'investissement, notamment en temps mais
aussi financier n'est pas négligeable. Et qui ferait cela gratuitement pour un
patron ?
Des relations se créent entre émissions de façon horizontale :
- échanges de cassettes ou d'informations
- contacts avec des invités,
- remplacements pendant une absence,
- initiatives diverses (par exemple : réunion publique animée par les deux
émissions syndicalistes sur la précarité, émissions communes sur le théâtre
avec d'autres fréquences), et cela sans que les responsables de Radio
Libertaire en soient toujours informés.
Ces découvertes montrent que notre option d'un fonctionnement fédéraliste est
réaliste ; avec de la bonne volonté et de la confiance, elle vit en s'appuyant
sur un projet qui nous tient à coeur. Notre fonctionnement est aussi très
proche de celui de tous les autres humains : nous avons des défauts et des
qualités. Parfois l'un d'entre nous oublie de prévenir de son absence : un
autre y pallie, au détriment d'un peu de son temps. On s'en explique et on
essaie de faire mieux la fois suivante.
Les
personnes extérieures au mouvement libertaire qui nous connaissent sont souvent
étonnées du nombre de personnes impliquées dans Radio Libertaire : on peut
affirmer que 150 à 200 personnes participent chaque semaine à la vie de la
radio.
Sans chefs ni sous-chefs, sans salaire ni photo à la télé (!), cela tourne !
On peut supposer que le plaisir pris à la réalisation de chaque émission est
pour une part importante dans cet engagement ; sans doute aussi, chacun et
chacune est conscient que cet engagement volontaire induit des devoirs envers
toute la radio.
On ne peut que souhaiter que ce sens de la responsabilité individuelle se
développe : l'anarchie ne pourra vivre que si les individus deviennent de plus
en plus conscients et responsables : l'anarchie c'est le contraire de la
soumission et de la démission, c'est la conscience individuelle, alliée au sens
de responsabilités collectivement assumées et partagées.
Un fonctionnement hors du champ capitaliste et commercial fidèle à ses
engagements d'origine, Radio Libertaire n'a jamais cessé de se battre pour la
liberté des ondes, revendiquant son autonomie vis-à-vis de l'état et refusant
de tomber dans le système des radios commerciale, des radios frics. Grâce au
soutien sans faille de ses auditeurs et auditrices, elle a réussi à rester une
véritable radio libre, "sans dieu, sans maître et sans publicité" et
à ne pas être récupérée.
Malgré toutes les difficultés, les tâtonnements, les engueulades, l'étonnement
est grand chez ceux qui ne nous connaissent pas de constater que nous existons
et réussissons cette gageure, économique, technique et idéologique.
Deux
composantes peuvent expliquer cela :
- d'une part, l'ossature organisationnelle fournie par la Fédération Anarchiste
permet une structuration idéologique forte, garante d'une fidélité aux
principes anarchistes (refus des rapports marchands, défiance à l'égard de
l'état, rotation des postes de secrétaires, .responsabilité individuelle des
mandatés, responsabilité collective du secrétariat, contrôle des mandats)
- d'autre part, la diversité et la richesse des personnes, leur engagement
volontaire et désintéressé dans le fonctionnement quotidien de Radio
Libertaire, en font la vitalité et l'originalité. L'articulation de ces deux
composantes ne s'effectue pas toujours sans difficulté mais, de jour en jour,
d'année en année elle permet l'existence de Radio Libertaire en s'améliorant.
Une
utopie en marche :
Pourquoi
d'autres syndicats et partis politiques avec leurs nombreux militants,
adhérents et votants- n'ont-ils pas tenté l'expérience d'un média radiophonique
?
Seule, Lutte Ouvrière l'a fait avec Radio La Bulle : "langue de
bois", "ennui à toutes les minutes", discours stéréotypés,
enregistrés et contrôlés par le bureau politique ; cette radio manquait de
créativité, de vie et de liberté et n'a donc duré que quelques mois !
Aucune centrale syndicale n'a essayé d'utiliser la libéralisation des ondes
dans les années 80 pour donner la parole aux salariés, se faire l'écho de leurs
problèmes, de leurs revendications et de leurs luttes. Quand aux partis
politiques, il est logique de penser qu'ils attendent d'avoir des parcelles de
pouvoir de l'état pour accéder aux radios de l'état ; ils ne sont pas connus
pour donner la parole à leurs électeurs, mais pour la réserver à leurs chefs et
porte-parole officiels.
En fait, aucune organisation n'a osé prendre ce risque par peur de ne pas
maîtriser l'expression des intervenants, par peur de la diversité, par peur de
la contestation de la ligne officielle ou des instances dirigeantes. Tout ce
système politicien, dénoncé par les anarchistes depuis plus d'un siècle, fait
ainsi la preuve de son incapacité à faire confiance aux individus et à vouloir
tout contrôler pour garder son pouvoir !
Seuls, des femmes et des hommes libertaires ont donc eu le courage,
(l'inconscience ?) de se lancer dans l'aventure. Aucun ne le regrette
aujourd'hui, tant cette expérience est forte, et de ses richesses, et de ses
faiblesses.
La notoriété de Radio Libertaire dépasse largement les frontières de
l'Ile-de-France et de l'hexagone ; notre fréquence est connue par tous ceux et
toutes celles qui bougent, se révoltent et veulent prendre leurs affaires en
main. Le côté "mosaïque" de la grille de Radio Libertaire est une
bonne chose : la multiplicité des sujets traités, la variété des approches
plaident pour l'image d'ouverture d'esprit que cela donne.
L'accueil de toutes celles et à tous ceux qui se préoccupent d'un autre futur,
qui se battent pour une société basée sur l'égalité économique et sociale et
non sur les inégalités, sur l'entraide et non la compétition, sur le partage
des richesses et non sur le profit, en constitue sa richesse, essentielle et
irremplaçable. Cette aventure repose sur notre tendance à croire en l'utopie,
si nécessaire et si inaccessible, mais qui nous fait vivre et rêver, supporter
les vicissitudes du quotidien et espérer en des jours meilleurs.
Ah ! L'UTOPIE, qu'est-ce qu'on ne ferait pas pour elle...
Et toujours des questions et des projets... Quels critères pourrions nous
définir pour évaluer les qualités et les défauts d'une émission ?
Nous pourrions réfléchir à :
- l'intérêt du thème traité - la réalisation collective ou individuelle,
l'organisation participante (en lien avec les Relations extérieures de la FA)
- la qualité technique
- la participation à la vie de la radio : présence aux AG, courriers,
initiatives prises pour faire connaître la station, pour la soutenir
financièrement, les appuis aux secrétariats (aides ponctuelles ou
permanentes)...
Pour les auditeurs, une amélioration des conditions de diffusion des
informations militantes serait un "plus" apprécié : est à l'étude la
possibilité de réaliser chaque jour à la même heure une émission consacrée aux
rendez-vous militants : manifestations, débats publics, nouvelles publications,
etc. La conception globale de la grille pourrait être étudiée pour offrir plus
de lisibilité, l'évolution à envisager n'étant pas de "raboter" la
diversité des thèmes abordés, ni le mélange des approches, mais de les
organiser afin de faire apparaître un motif général plus net, mais toujours
coloré.
Depuis
plusieurs années, le souhait est émis d'avoir une plus grande diffusion de
Radio Libertaire ; un projet de Radio Libertaire à Rouen avait en son temps été
étudié. Par imitation de l'initiative prise par l'émission
"Abalaloi", qui diffuse régulièrement des cassettes des émissions
réalisées par le groupe Proudhon de Besançon on pourrait imaginer un jumelage
des émissions animées par des groupes de la Fédération anarchiste sur Paris
avec des groupes de province qui réalisent des émissions sur des radios
associatives de leurs villes.
Ce jumelage serait une application concrète du fédéralisme et du fonctionnement
horizontal que nous prônons. Des perspectives s'ouvrent également avec Internet
: l'émission "La philanthropie de l'ouvrier charpentier" diffuse déjà
des extraits de ses émissions.
Pourquoi pas d'autres ?
La diffusion mondiale de ce réseau est une ouverture possible, malgré le coût
pour celui qui consulte. Une autre possibilité consisterait à demander une
autorisation provisoire d'émettre sur une ville à l'occasion d'un colloque,
d'un congrès ou de toute autre initiative (Le village du livre à Merlieux par
exemple) : Radio Libertaire Paris pourrait diffuser les images sonores de
l'initiative (en totalité ou en partie) et une diffusion locale peut être
envisagée grâce à un émetteur portable (des possibilités peu onéreuses existent
actuellement).
Cette possibilité est déjà utilisée par des villes pour des foires commerciales
ou des organisations, par exemple pour une initiative de jeunes. Cela aurait
l'avantage de "décentraliser" l'outil radio de notre organisation.
D'autres questions portent sur une implication plus grande des équipes des
émissions dans la vie de Radio Libertaire :
- Faut-il que les prises de décision soient plus collectives et selon quelles
modalités ?
- Comment éviter l'attitude "consommatrice" de certains vis-à-vis de
cet outil ?
- Faut-il demander une participation financière obligatoire des émissions au
fonctionnement de la radio et sur quelles bases ?
- Comment attirer des volontaires à consacrer un peu de leur temps aux tâches
nécessaires à la vie de la station ?
- Faut-il redéfinir le rôle des assemblées générales ?
Elisabeth Claude (pour le secrétariat de Radio Libertaire)
Post-scriptum : lors de la coordination de ce texte, le souci du secrétariat de Radio Libertaire a été de mettre l'accent sur les points communs et les qualités, plutôt que sur les divisions ou les défauts, tant il est facile de constater et de critiquer ces derniers, alors qu'on oublie si souvent de décrire et de valoriser les premiers. Nous espérons que vous aurez partagé notre plaisir à découvrir, à travers ces quelques pages, toutes les richesses de cette expérience, à ce jour unique au monde, et que cela vous donnera envie d'y participer à votre tour.
Autres articles :
Radio Trottoir ; Pierre Bourdieu sur Radio Libertaire ; Interview
d'un libertaire polonais et tract anti-militariste du RSA (1983) ;
A lire :
Radio
Libertaire la voix sans maître (Editions du Monde libertaire) ;
La plus rebelle des radios, c'est Radio libertaire (Editions du Monde
libertaire) ;